lundi 7 mai 2012

Biopesticides : une alternative aux pesticides conventionnels ?



Les problèmes de protection des cultures qui se posent à l'humanité aujourd'hui sont aussi nombreux et divers qu'ils ont pu l'être tout au long de l'histoire de l'agriculture depuis plus de 10 000 ans. Que ce soient les livres sacrés comme le Veda en Inde, ou la Bible dans le bassin méditerranéen, les vestiges préhistoriques en Dordogne ou les papyrus égyptiens, de nombreux exemples illustrent que la survie de l'espèce humaine dépend de sa capacité à protéger les végétaux essentiels à son alimentation, dans les champs ou après la récolte. Car comme le soulignait Pierre Ferron, Directeur de recherche honoraire de l'INRA, la préservation des cultures et des récoltes s'inscrit comme «un phénomène de compétition entre consommateurs au premier rang desquels s'affrontent l'Homme, l'Insecte et le Rongeur ».
Combat éternel mais qui a changé de nature et d'échelle car moins que jamais aujourd'hui, avec l'avènement d'une agriculture spéculative et productiviste, on est disposé à tolérer ces pertes qui caractérisaient l'agriculture vivrière des siècles passés et qui sont provoquées par les déprédations des insectes, acariens, nématodes, oiseaux et autres rongeurs, ainsi que par les maladies dues aux agents pathogènes. En effet, face à l'expansion démographique et dans le cadre de la mondialisation, il importe que l'agriculture soit de plus en plus performante afin de satisfaire les besoins, alimentaires mais aussi non alimentaires, toujours accrus, en produits agricoles de la population planétaire.
Dans ce contexte, le développement des pesticides chimiques, dont la production était aisée et les coûts peu élevés, a constitué à la charnière de la moitié du 20è siècle, une révolution technologique dans le domaine de la protection des cultures. Mais les succès qu'ils rencontrèrent immédiatement dans le contrôle des espèces nuisibles aux cultures ainsi qu'à la santé humaine et animale, ont conduit à leur utilisation intensive et souvent sans discernement. On connaît la suite : des désordres écologiques à de multiples niveaux, et le numéro de l'été (n° 72) de cette revue s'est fait l'écho de la contamination des eaux par ces pesticides conventionnels.
Aussi de nombreuses initiatives sont déployées depuis plusieurs années pour développer des méthodes alternatives à l'utilisation de ces pesticides chimiques. Nous vous proposons d'examiner les méthodes qui ont trait à l'emploi de que l'on appelle communément les biopesticides et de voir dans quelle mesure ils sont prêts à prendre la relève du « tout chimique ».

Qu'est ce qu'un biopesticide ?

En premier lieu il faut préciser ce qu'on entend par biopesticides car le terme fait débat. Sémantiquement le mot est formé de « pesticides » qui veut dire «tuer les pestes » et du préfixe « bios » qui signifie « vie » en grec. L'antinomie de ces deux termes soulignent que les biopesticides s'inscrivent dans la lutte contre les organismes fléaux et sont basés sur l'utilisation d'agents ou facteurs liés à la vie. Longtemps on a débattu pour savoir s'il fallait prendre en considération comme biopesticides les seuls organismes vivants antagonistes aux fléaux ou si des molécules biosynthétisées et des composés extraits d'un organisme vivant pouvait être considérés comme biopesticide. Aujourd'hui, la définition retenue est la plus large.

De la même manière on s'est posé la question de savoir s'il fallait prendre en considération non seulement les substances biologiques qui tuaient les fléaux mais aussi ceux qui diminuaient la pression des bio-aggresseurs sur un organisme attaqué sans pour autant les tuer. Certains modes d'action sont en effet non toxiques pour le fléau. Par ailleurs, il apparaît de plus en plus que le fait de tuer l'organisme fléau, voire de l'éradiquer d'un milieu peut présenter plus d'inconvénients que d'avantages pour un respect de l'équilibre des écosystèmes et de l'environnement. Aussi certains experts et chercheurs proposent de remplacer le terme de biopesticides par celui de « Biocontrol Agents (BCAs) » qui devrait être traduit rigoureusement en français pour respecter ce concept par « produits de protection des plantes à base d'agents biologiques ou de produits naturels », la traduction littérale de l'expression anglaise « agents de contrôle biologique » pouvant prêter à confusion. La longueur de la périphrase n'est pas de nature à populariser l'emploi de cette dernière. Sans doute faudrait-il créer le néologisme d' «agents de biocontrôle (ABC) » ?
Il faut donc considérer aujourd'hui qu'un biopesticide se définit comme tout produit de protection des plantes à base d'organismes vivants ou substances, d'origine naturelle c'est-à-dire issus de la co-évolution des espèces et donc qui ne sont pas issus de la chimie, dont l'utilisation pour le contrôle d'organismes fléaux ou bio-aggresseurs, est préconisée pour un meilleur respect des biocénoses et de l'environnement. En effet, les biopesticides présentent plusieurs avantages écologiques : biodégradabilité, sélectivité de leur activité et diminution des effets non intentionnels sur les espèces non cibles, diminution des résistances pour certains d'entre eux.

D'après cette définition, les organismes génétiquement modifiés (OGM) qui ne sont pas issus de la co-évolution des espèces et dont on a trop peu de recul en matière d'impact sur les biocénoses et sur l'environnement devraient être exclus pour le moment du champ des biopesticides. Cette position va à l'encontre de celle de l'organisme américain EPA : Environnemental Protection Agency mais est en accord avec les directives européennes qui traitent de manière différente le cas des OGM et des PPP (produits de protection des plantes).

Quels types de biopesticides sont aujourd'hui commercialisés ?

Cette définition, qui est très large, englobe donc des biopesticides de plusieurs sortes.
On distingue les biopesticides commercialisés à base d'organismes vivants. Une grande diversité d'organismes biologiques est utilisée dans des formulations phytosanitaires :
- des bactéries entomopathogènes, ou antagonistes de champignons pathogènes ;
-des virus entomopathogènes, ou des mycovirus entrainant une hypovirulence des souches fongiques et des phages (virus) lysant des bactéries ;
- des champignons entomopathogènes, herbicides, ou antagonistes ;
- des protozoaires entomopathogènes ;
- des arthropodes parasitoïdes et prédateurs ;
- des nématodes entomophatogènes ou mycophages.
Ces organismes s'attaquent au potentiel biotique de l'organisme fléau à différents stades de son développement. Leur emploi constitue ce qu'il est convenu d'appeler la lutte biologique classique qu'illustre si bien l'image de la coccinelle se nourrissant de pucerons ! En France, le guide phytosanitaire ACTA 2007 indique plus d'une cinquantaine de micro-organismes et macro-organismes utilisés comme matières actives et commercialisés dans des spécialités.
Dans un autre registre, une autre catégorie de biopesticides est basée des substances biologiques naturelles. Il s'agit essentiellement des composés intervenant dans l'interaction ou la communication au sein des espèces où entre les espèces. Les phéromones et les molécules allélochimiques de plantes (ou substances botaniques) représentent actuellement une part importante des composés développés commercialement. Certains auteurs y rangent également les éliciteurs biotiques, c'est-à-dire des composés qui stimulent les réactions de défense des plantes, ce qui les rend moins vulnérables aux bio-agresseurs.
Les phéromones sont principalement utilisées pour perturber le comportement des insectes ou les attirer dans des pièges. Ainsi, l'utilisation d'hormones sexuelles visent à gêner le renouvellement des générations en empêchant les accouplements (technique de la « confusion sexuelle ») ou en décimant les mâles. Dans ce cas le piégeage sexuel par une hormone femelle sexuelle associée à un piège englué qui capture le mâle : cette utilisation des phéromones vise aussi à la détection des ravageurs dans les cultures. On peut aussi utiliser des phéromones d'agrégation qui attirent mâles et femelles dans un piège contenant, outre la phéromone, un insecticide puissant : c'est la technique « lure and kill ».

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